vendredi 31 juillet 2015

Streaming : faut-il miser sur sa part du gâteau, où sur la taille de ce dernier ?

Une nouvelle illustration des différences entre les modes de répartition "service centric" et "user-centric" du streaming, réalisée par Midia Consulting, ne parvient toujours pas à faire la démonstration que l'un est plus équitable que l'autre. 



L'incontournable @Mark_Mulligan, ex-analyste de chez Forrester et plume très lue dans l'univers de l'industrie musicale, met pour la première fois les pieds dans le plat sur la question du mode de répartition du streaming, en opposant la répartition au pro-rata adoptée par la plupart des plateformes, en fonction de la part de marché du label ou de l'artiste sur l'ensemble du service ("service centric"), à la répartition par abonné ("user-centric").


Dans la partie supérieure de son tableau, Mark Mulligan illustre de quelle manière avec une répartition "service centric", un artiste A que l'abonné n'a pas écouté peut percevoir deux fois plus de royalties sur son abonnement qu'un artiste B représentant plus de la moitié de ses écoutes. S'applique en effet indifféremment, pour la répartition des revenus de cet abonnement, les parts de marché globales de chacun des artistes.

La comparaison avec une répartition "user centric", dans la partie inférieure du tableau, est édifiante. L'artiste B se retrouve en effet à percevoir beaucoup plus sur l'abonnement de celui qui lui a consacré la moitié de ses écoutes, quand l'artiste A, qu'il n'a pas écouté, ne touche rien. La démonstration, cependant, ne se passe pas de commentaire.

En effet, dans le cas de la répartition "service centric", l'artiste B va toucher beaucoup moins, mais à raison de 0,5 % sur l'ensemble des abonnements, y compris ceux des abonnés qui ne l'ont pas écouté. Et dans le cas de la répartition "user centric", il va toucher beaucoup plus, mais sur un nombre beaucoup plus réduit d'abonnements : ceux des personnes qui l'on réellement écouté. Dans ces conditions, difficile de savoir si, au final, une répartition "user-centric" va profiter à l'artiste B.

Production locale

Trop rares sont les études sérieuses effectuées sur le sujet. Celle du groupe de recherche Cloud & Concert de l'Université d'Oslo, parue en 2014, établit que le modèle user-centric augmente de 13 % la part de marché des artistes locaux figurant parmi les 5000 artistes les plus écoutés en août 2013 sur la plateforme scandinave WiMP. Il n'évalue pas, cependant, le manque à gagner que le modèle de répartition au pro-rata induit pour le répertoire local en Norvège.

En France, dans le cadre d'une répartition « user-centric » en 2015, avec des revenus du streaming sur abonnement qui progresseraient au rythme du premier semestre 2014 pour l'ensemble du marché (+33,1 %), ceux de la production locale connaîtraient une croissance de plus de 50 %, c'est à dire nettement supérieure, évalue le magazine Haut Parleur. Selon ses simulations, "le manque à gagner de la variété française, lié au modèle de répartition des revenus de l'abonnement au pro-rata du nombre d'écoutes, devrait s'élever à plus de 14 millions d'euros sur la période 2015-2017."

Reste à vérifier que les conclusions de l'étude norvégienne de Cloud & Concert puissent s'appliquer aux spécificités du marché français. Le véritable critère de différenciation pourrait être tout autre que le caractère local du répertoire.  Les chercheurs de l'Université d'Oslo ont en effet considéré une autre grille de lecture : en fonction du "taux de passion" dont bénéficient les artistes.

Taux de passion

Introduit par Paul Lamère, le directeur du développement de la plateforme de recommandation The Echo Nest rachetée par Spotify, cet indice correspond au nombre d'écoutes enregistré par un artiste divisé par son nombre d'auditeurs. Afin de ne pas pénaliser des musiques comme le classique ou le jazz, ce taux de passion a été calculé en tenant compte du temps d'écoute plutôt que du nombre d'écoutes. En août 2012 comme en août 2013, constate l'étude sur cette base, les artistes ayant un taux de passion élevé auraient bénéficié d'une meilleure rémunération de la part de WIMP avec un modèle de répartition par abonné. 

Les auteurs constatent également une forte corrélation entre taux de passion élevé et répertoire local. 31 artistes locaux figurent parmi les 100 taux de passion les plus élevés, et 8 d'entre eux enregistrent des temps d'écoute cinq à huit fois supérieurs de la part de fans qui vivent dans un rayon de 30 kilomètres autour de leur lieu d'origine. De quoi renforcer la conviction qu'une répartition par abonné permettrait, avec peut-être plus d'efficacité que des quotas, de relocaliser quelque peu les flux financiers du streaming ; et aux artistes en développement d'être soutenus localement par leurs fans.

En attendant que des simulations plus sérieures soient effectuées en France, qui permettraient de savoir s'il vaut mieux miser sur sa part du gâteau, ou sur la taille de ce dernier...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire